Aurenc Bebja, France – 30 Avril 2018
Le quotidien français Paris-soir a publié en une, le 20 juillet 1939, une interview du couple royal albanais, qui se trouvait à cette époque en exil à cause de l’invasion de l’Albanie par l’Italie fasciste.
Les souverains albanais, à peine arrivés sur le sol suédois, étaient attendus par une foule de journalistes, impatients de connaitre davantage leurs projets.
Le Roi Zog a été le premier à leurs répondre, mais fatigué par le voyage et par ses soucis relatif à sa patrie, c’est la reine Géraldine qui a pris le relais pour répondre aux questions.
Qu’ont-ils dit aux nombreux journalistes, présents ce jour-là ? Voici, ci-dessous, le texte intégral du journal :
Stockholm, 19 juillet (par tél). — (De notre correspondant particulier)
Un long voyage en exil en contournant l’Axe
Transportant dans une valise sa couronne et sa fortune, le Roi Zog va bientôt quitter la Suède pour Versailles.
…Larissa, Salonique, Istanbul, Bucarest, Varsovie, Gdynia, Riga.
Couvertes d’étiquettes multicolores écrites dans toutes les langues de l’Europe orientale, des valises armoriées s’amoncellent dans le hall de ce grand hôtel de Stockholm.
Ces valises contiennent une couronne royale et toute la fortune d’un homme sans patrie.
C’est tout ce qui reste des biens de celui qui fut Zogou I, roi d’Albanie, qui vient d’arriver dans la capitale suédoise. Il se trouve rendu à l’avant-dernière étape de son exode. Bientôt le souverain déchu et sa suite, après un court séjour à Versailles, arriveront au terme de leur voyage, à Londres.
Depuis l’entrée des troupes italiennes à Tirana, l’ex-roi n’a pu s’arrêter nulle part. Depuis le début d’avril, il parcourt l’Europe en quête d’une patrie qui lui convienne et qui veuille bien de lui.
La reine est souriante
La reine le suit comme son ombre. Depuis sa miraculeuse guérison, depuis que son fils – né un jour fatal – ne lui donne plus d’alarmes, la reine Géraldine offre à tous un visage souriant. C’est en souriant, en effet, que, accompagnée des conseillers et des serviteurs de la cour, elle a fait son entrée à Stockholm. De ce grave sourire, elle ne se départira plus.
Du vaste hôtel où la cour d’Albanie s’est installée, on contemple, se reflétant dans les eaux calmes du Malar le palais royal de Gustave V.
Ici tout est calme, lumière paix.
Le roi Zog contemple mélancoliquement ces choses. Il ne trouvera pas ici l’oasis à laquelle il aspire depuis le 7 avril dernier. Il lui aura fallu contourner, via la Grèce, la Turquie, la Roumanie, la Pologne, les pays de l’axe Rome-Berlin où il ne compte plus désormais que des ennemis.
Demain, ce sera Londres. En perspective, de nouveaux regrets, de nouveaux soucis.
Les souverains parlent du passé et de l’avenir
Les journalistes s’attachent à ses pas, le harcèlent, lui posent questions sur questions :
– Je suis encore une puissance politique, répond rêveusement l’ancien roi.
Et il ajoute :
– Pas un peuple, à cette heure, si petit qu’il soit, ne saurait se passer de liberté. Je me consacre, comme tous les Albanais, sans trêve et sans répit, à reconquérir pour l’Albanie son indépendance.
Devant l’interminable crépuscule suédois, l’ancien souverain musulman retombe dans ses pensées.
Mais la reine Géraldine erre partout, confiante et presque gaie.
Cette femme de 23 ans est tout de blanc vêtue, ayant pour seul bijou, fixé, sur son corsage, un clip de diamants. Elle s’exprime avec un fort accent américain, dit sa satisfaction d’avoir terminé cette longue migration « autour de l’axe » :
– Nous allons nous installer en Angleterre, mais nous irons d’abord habiter quelque temps dans le doux pays de France, près de Versailles, où sont déjà mes belles-sœurs.
– Nous pourrons vivre heureux et paisiblement en France d’abord, où j’ai été élevée, et dont mon mari parle parfaitement la langue, puis en Angleterre.
La reine se redresse soudain
– Bien sûr, nous espérons ne pas rester trop longtemps. Noue comptons bien être bientôt de retour en Albanie. Mon mari travaille pour restituer à l’Albanie son indépendance. Il y rentrera et il y sera couronné.
“Le prince héritier est très beau”
Ces paroles ont été prononcées avec gravité. Mais la gentillesse de Géraldine la force à une interview plus poussée. Elle ne s’y dérobe point.
– J’ai toujours aimé le voyage, dit-elle, mais je ne pensais pas que, la première fois que je verrai l’Angleterre ce serait dans de pareilles conditions !
– En quittant le palais de Tirana, j’ai dû tout abandonner. Je n’ai pas même pu rassembler mes bijoux et je n’ai emporté que deux ou trois choses qui m’étaient particulièrement précieuses : les cadeaux de mon mari.
– J’ai été très malade pendant tout le voyage et j’ai dû être transportée sur une civière. Je me demandais sans cesse ce qui allait arriver. Bébé criait tout le temps, il dépérissait à vue d’œil. La maladie progressait. A un moment donné, nous avons eu peur de le perdre. Mais il se remit assez vite lorsque nous interrompîmes le voyage.
– Maintenant, les médecins suédois le déclarent magnifique. Il a recouvré son poids et ne crie plus.
Ni cinéma, ni livre
Inévitablement, le nom de Hollywood est prononcé devant l’ex-souveraine :
– Mais non, dit-elle, il n’est pas question pour nous d’aller à Hollywood. Je n’ai pas du tout l’intention de tourner un film et mon mari n’a pas du tout l’intention d’écrire un livre.
– Des milliers de loyaux Albanais espèrent toujours que nous reviendrons bientôt sur le trône d’Albanie. Pour eux, nous avons le devoir de mener une existence exemplaire.
Publié en version albanaise : https://www.darsiani.com/la-gazette/paris-soir-1939-intervista-e-rralle-me-mbretin-zog-dhe-mbretereshen-geraldine-ne-stokholm/