Skanderbeg, le héros de la nation albanaise


SKENDERBEU - Pikturë e realizuar nga vetë autori në moshën 19 vjeçare (dhjetor 1957) / © Aref Mathieu
SKENDERBEU - Pikturë e realizuar nga vetë autori në moshën 19 vjeçare (dhjetor 1957) / © Aref Mathieu

Aref Mathieu, France – Article publié en 2008 chez « Le Figaro »

 

Pourquoi Grecs et Serbes s’attaquent-ils, aujourd’hui, à Skanderbeg (qualifié par le Vatican de « soldat du Christ et héros de la chrétienté »), grande figure de la résistance albanaise face à l’occupation ottomane ?

 

Depuis que l’Albanie s’est libérée du communisme (cela fait déjà 18 ans !) et depuis que le Kosovo est devenu indépendant (malgré le refus de la Serbie, de la Russie et la non-reconnaissance de quelques autres états récalcitrants) les convoitises territoriales aiguisent l’appétit de la Grèce pour le sud de l’Albanie et de la Serbie pour la partition partisane du Kosovo. Pour les Serbes comme pour les grecs tous les moyens sont bons pour manipuler les esprits afin que le monde entier croie en la véracité de leurs revendications.

 

Par le biais de la religion les Grecs cherchent à consolider la présence de l’Eglise orthodoxe en Albanie (particulièrement le sud) et avec le temps à s’y infiltrer insidieusement pour arriver, en fin de compte, à conquérir pacifiquement le sud de l’Albanie (quelle utopie !). Les Serbes (avec l’aide du prosélytisme religieux orthodoxe) veulent faire croire à la planète entière et particulièrement à l’Union Européenne que le Kosovo est le berceau de la Serbie.

 

Cette attaque contre Skanderbeg, grande figure nationale albanaise, n’est pas anodine, car elle démontre que les anciens démons hantent toujours certains esprits revanchards et un dogmatisme religieux qui ne semblent pas s’estomper. Malheureusement ce genre de propos néfastes, de contrevérités, d’idéologie, d’analyses fallacieuses et de mesquineries provenant des détracteurs étrangers sont repris et réitérés allègrement, sans aucun discernement ni probité, par certains Albanais : journalistes des différents médias, écrivains doctrinaires ou partiaux, chroniqueurs et autres commentateurs tendancieux.

 

Il est vraiment regrettable que certains albanais prennent le relais des ennemis de l’Albanie et de l’albanité. Pour mieux cerner ce problème voici, donc, une analyse très succincte (c’est un livre entier qu’il faudrait écrire) de cette stérile et dangereuse polémique créée par deux pays limitrophes de l’Albanie, mère patrie des Albanais dans le monde.

 

Outre leurs tentatives manipulatrices et fallacieuses les Grecs comme les Serbes (alliance coreligionnaire, union sacrée ou guerre sacro-sainte ?) ont ouvert, ces derniers temps, une autre brèche pour asseoir leurs convoitises : s’attaquer à l’histoire de l’Albanie et à son intégrité territoriale ainsi qu’aux grandes figures de l’albanité et particulièrement à Skanderbeg. Toutes ces attaques, ces manipulations et ces grossièretés historiques sont non seulement insensées et infondées mais également infâmes et calomnieuses. Elles ne reposent donc sur aucun fondement, aucun argument probant et aucune preuve historique. Leurs objectifs sont clairs.

 

Les Serbes ont toujours prétendu que les Kosovars (dont le territoire n’est autre que celui de l’ancienne Dardanie, nom s’expliquant par l’albanais « pays des poires ») ne sont pas « autochtones » mais un peuple venu d’Albanie, de Turquie ou d’ailleurs ! Alors que l’histoire écrite et reconnue affirme que les Slaves du sud n’ont fait leur apparition dans les Balkans que vers la fin du VIe voire le VIIe s après JC et qu’ils ont occupé des territoires (des deux bords du Danube à la Grèce et de l’Adriatique à la Mer noire) appartenant aux Illyriens (Pannoniens, Istriens, Vénètes, Liburnes, Dalmates, Dardanes, Triballes, etc.) et aux Thraces (Daces, Gètes, Briges, Mésiens,etc.) qu’ils ont, pour la plupart, assimilés et auxquels ils ont emprunté une partie de leur culture et traditions (vocables divers, costumes traditionnels, rhapsodes, etc).

 

Les toutes premières tribus slaves (Serbes, Slovènes, Croates) et Bulgares n’ont été christianisées qu’au IXe s après JC par deux prêtres grecs slavophones : Cyrille et Méthode. A partir de là ils ont commencé à construire des églises un peu partout dans les Balkans et particulièrement dans la très belle région des lacs d’Ohrid et de Prespa. Jusqu’à ce jour le prosélytisme et le nationalisme de l’église orthodoxe n’ont pas cessé. Puis, paradoxalement, les Serbes ont fait d’une défaite (champs des merles - Kosovo - 1389) une victoire, un symbole national et ont fait croire que ce fut une guerre exclusivement entre Serbes et Ottomans alors que ce fut une guerre multiethnique contre les troupes turques : hongrois, albanais, serbes, bulgares, etc ! Sans oublier que lors de cette bataille le sultan ottoman Murad 1er y fut tué par un Albanais ! Voilà donc l’Histoire, la vraie.

 

Quant aux Grecs ils revendiquent, à tort, le sud de l’Albanie c’est-à-dire le Nord de l’ancien Epire. Pourquoi ?

 

1) Tout d’abord ils pensent que l’Epire était une province grecque. Ils vont même jusqu’à affirmer que l’ethnie grecque vient du nord de la Grèce, c’est-à-dire l’Epire alors que cette région n’a jamais fait partie de la Grèce. Ce sont les Romains qui, après leur occupation de la Grèce « stricto sensu », ont crée de toute pièce une « nouvelle Grèce » en y incluant la Macédoine, la Thrace et l’Epire. Strabon (début de l’ère chrétienne : 58 av.JC - 21 ou 25 après JC) affirmait qu’à son époque l’Epire se trouvait en dehors de la Grèce. Tous les auteurs antiques (VIe et Ve s avant JC), sans exception, considéraient la Thesprotie (ancien nom de l’Epire) comme un pays peuplé de « barbares » c’est-à-dire « ne parlant pas le grec ». C’est une erreur d’Aristote (cf. mon dernier livre - « Mycéniens = Pélasges » - traduit en albanais en 2008 – Editions Plejad) qui est à l’origine de cette légende. Il faut ajouter que les premiers textes écrits en grec (cf. Homère et Hésiode) n’ont cité ni les Hellènes, ni les Doriens, ni les Ioniens. Les très rares citations les concernant ne sont que des interpolations tardives introduites par certains logographes hellénophiles : cela est confirmé par les « critiques alexandrins ». Par ailleurs il faut noter que la plupart des héros de l’indépendance grecque du XIXe siècle étaient d’origine épiro-albanaise ou Arvanitas (et plusieurs hommes politiques dont Papandréou) : Botzaris, Tsavallas, la Bouboulina, Kanaris, etc. Que reste-t-il aux Grecs ? Skanderbeg ?!?

 

2) Ensuite comme le sud de l’Albanie (appelé par les Grecs « nord de l’Epire ») fut converti à l’orthodoxie, les Grecs ont fait croire (et continue de le faire) que les Albanais orthodoxes étaient et sont des Grecs alors qu’il n’y a en Albanie qu’environ 40000 grecs de souche. D’ailleurs les Grecs et les Serbes considèrent la « religion » comme une « nationalité » !?! C’est sous l’injonction des instances de l’Union Européenne que les Grecs ont fini par supprimer sur leurs passeports la mention « religion »! Comme les Serbes veulent une « partition » du Kosovo les Grecs veulent une partition de l’Albanie : leur stratégie a déjà commencé en installant une « municipalité sécessionniste » (Albanais soumis au prosélytisme de l’église orthodoxe !) à Himara au sud de l’Albanie. Cette même église orthodoxe appuyée par le gouvernement grec réclame l’installation de « monuments aux morts » de militaires grecs au sud de l’Albanie, etc. A noter, également, que l’église orthodoxe albanaise est présidée par un ecclésiastique venu de Grèce pour, probablement, une prochaine mainmise grecque sur l’ensemble de l’épiscopat orthodoxe albanais. Les autorités albanaises sont-elles assez naïves ou irresponsables pour laisser carte blanche aux Grecs ?

 

3) N’oublions pas qu’entre 1920 et 1924 la Grèce a perpétré le premier nettoyage ethnique (assimilé à un ethnocide) d’Europe : déportation de plus de 450.000 Albanais de l’Epire du sud (sous domination grecque) vers la Turquie contre environ 1.500.000 grecs de Turquie vers l’Epire. Ils ont voulu faire croire que ces Albanais « musulmans » étaient des Turcs (exactement comme le font les Serbes vis-à-vis des Kosovars) ! Ils ont donc remplacé les Albanais chassés d’Epire par des Grecs venus d’Anatolie. L’on ne parle pas assez de ce grave problème qu’il faudrait unanimement et officiellement dénoncer auprès de « Amnistie International ». Une autre aberration est en train de se produire de nos jours en Grèce : les autorités grecques incitent les immigrés albanais à « gréciser » leurs noms et prénoms voire à changer de religion. Ils leurs accordent même la nationalité grecque ! Que font les instances européennes pour empêcher ce genre insidieux de dénationalisation massive et de manipulations irresponsables, inquiétantes, inhumaines et honteuses ? Les « Droits de l’homme » ne sont-ils pas bafoués en Grèce, pays faisant partie de l’Union Européenne ?

 

Maintenant, pour mieux engranger cette campagne anti-albanaise, l’on s’attaque impunément à l’identité albanaise et surtout à son héros national « Skanderbeg ». L’on veut dénationaliser les Albanais en leur déniant toute relation avec leur passé prestigieux. Les Grecs veulent, une fois de plus, voler aux Albanais leur Histoire comme ils l’ont fait avec leurs ancêtres les Pélasges auxquels ils ont usurpé une grande partie de leur culture, de leurs traditions et de leur mythologie.

 

Georges Kastrioti (1405-1468), appelé « Skanderbeg » (« Seigneur Alexandre » c.à.d. digne des exploits d’Alexandre le Grand) par les Ottomans, est un héros national albanais reconnu par tous les historiens de tous pays comme le prouvent les archives ottomanes, vaticanes, espagnoles, italiennes, françaises, orientales, etc. Tout cela est écrit à l’encre indélébile. Par conséquent tous ces esprits malfaisants ne pourront pas changer l’histoire écrite et unanimement reconnue. Il faut signaler qu’en l’honneur de Skanderbeg l’albanais il y eut depuis le XVe s plusieurs biographies (dont la plus importante est celle de Barleti au XVIe s), récits historiques (dont ceux de Jacques de Lavardin, Paganel, Hammer-purgstall), plusieurs tragédies et drames dont une demi douzaine en France et d’autres en Espagne où il fut une grande figure du Théâtre espagnol, des poèmes dont celui composé par Ronsard et un opéra du grand compositeur Vivaldi. Enfin ce n’est pas parce que Skanderbeg était à la fois chrétien, roi d’Arbërie (Albanie) et d’Epire (majoritairement peuplé d’Albanais, à l’époque) qu’il faille le faire descendre des Grecs, des Serbes ou d’une autre ethnie !

 

Skanderbeg est considéré comme un véritable héros albanais. Jusqu’à présent personne n’a prouvé le contraire. Aujourd’hui on cherche donc à salir sa mémoire, à égarer les esprits et à semer la zizanie non seulement parmi les Albanais mais également auprès des autres peuples et états du monde. Les Grecs et les Serbes s’acharnent à décrire la figure de Skanderbeg comme ayant été une sorte de « mythe » que les albanais se seraient appropriés ! Le mot « mythe » employé par les détracteurs de l’histoire héroïque des Albanais est ici pris sous son acception négative. L’histoire de Skanderbeg n’est ni un mythe ni une légende mais une histoire vraie reconnue par tous les Etats du XVe siècle dont le Vatican ainsi que toutes les archives historiques des Etats de l’époque. Cette hostilité anti-albanaise, ce dénigrement gratuit, ces manipulations insidieuses et cette campagne calomnieuse ne grandissent personne. Cela, au contraire, risque de mettre le feu aux poudres dans cette région des Balkans qui a été peuplée d’envahisseurs divers et qui ethniquement, linguistiquement, culturellement et politiquement rassemble une telle diversité (mosaïque ethnique et tour de Babel) qu’elle a été appelée, à juste titre, « baril de poudres».

 

La préméditation et la provocation sont donc évidentes de la part des serbo-grecs : ils veulent casser l’image des Albanais et de leurs héros. J’espère qu’ils vont entendre raison et se débarrasser de cette hostilité insensée et de toutes ces haines endémiques et séculaires. Je mets en garde surtout les autorités albanaises de ne pas céder aux sirènes serbo-grecques : ne soyez pas naïfs ou dupes. Il faut rester vigilant contre toute atteinte à l’intégrité territoriale de l’Albanie et du Kosovo et de leur dignité respective en tant qu’états souverains. Faut-il vendre son âme et sa dignité pour simplement entrer dans l’Union Européenne ? L’Histoire et l’avenir en seront seuls juges.

 

 

© Aref Mathieu 

Blogu : Dars (Klos), Mat – Albania